Vincent Delerm – «C’est gentil tout ça, mais qu’est ce que tu vas faire comme vrai métier?»

Chanteur du quotidien, parolier subtil, mélodiste élégant et fin connaisseur du cinéma de François Truffaut, Vincent Delerm revient après dix ans d’absence à Genève défendre un dernier album solo: Les Amants parallèles. Rencontre avant son concert événement annoncé au festival Voix de Fête ce samedi.

Propos recueillis par Edouard Banton

Comment vos amis d’enfance à Rouen vous voient-ils aujourd’hui, quinze ans après le début de votre fulgurante carrière?

J’ai en effet toujours beaucoup d’amis demeurés en Normandie. Nombre d’entre eux sont issus d’une formation théâtrale. A mes débuts, je prenais garde à ne pas les froisser en refusant de jouer au cinéma alors que les propositions pleuvaient. Imaginez: eux travaillaient dur pour se faire une place au théâtre, et moi, au prétexte que j’avais sorti un disque qui marchait, on me proposait d’accomplir leur rêve! Humainement, ça aurait été trop compliqué à gérer. Depuis, tout cela a été dépassé. Ils savent que dans mon métier il y a des hauts et des bas. D’autant qu’ils ont vu ça de près en m’aidant à faire la lumière ou le son de mes spectacles quand j’ai débuté.

Vous avez grandi dans un milieu d’intellectuels. Comment observez-vous cet environnement familial aujourd’hui ?

C’est une chance d’avoir des parents qui vous donnent confiance, et non pas qui tirent une tête impossible lorsqu’on leur annonce: «Bon, ben là, pendant deux ans, je vais jouer dans des boîtes à chansons à Paris!» Quand j’ai dit à mes parents que je voulais faire ce métier, aucun d’eux n’a levé les yeux au ciel. Ceci dit, certains membres de ma famille m’ont plusieurs fois demandé: «OK, c’est gentil tout ça, mais après qu’est ce que tu vas faire comme vrai métier?» Mais venir d’un milieu où on considère que les livres et les chansons sont des choses importantes dans la vie, si on éprouve le désir de suivre cette voie, c’est une source d’énergie considérable, un soutien unique.

Mon problème, c’est que je ne peux jouer que des textes que j’ai écrit! Sinon, je rame.

Vous êtes-vous désinhibé sur scène au fil des années?

Se tenir derrière un piano, c’est souvent se planquer des regards. C’est très cérébral, comme situation. Le public voit quoi de vous? Une tête qui dépasse et éventuellement des épaules qui remuent. Pour moi, ce côté caché à été très important à mes débuts, car au cours un tour de chant, surtout durant les premières chansons, le public vous examine dans le détail et autant qu’il le peut. Il faut en effet du temps avant qu’il soit emporté – ou pas – par un spectacle auquel il assiste. Ces dernières années, j’ai envisagé le problème à l’envers. Quand je jugeais qu’un répertoire allait être difficile à aborder d’emblée pour un public, je lui joignais un dispositif théâtral, avec projections vidéo, un travail spécifique sur la lumière, l’intervention de comédiens… L’énergie qui se dégageait de cet ensemble, c’est précisément celle que j’aimais quand, étudiant, je faisais du théâtre avec mes potes. Mais, bon: mon problème, c’est que je ne peux jouer que des textes que j’ai écris! Sinon, je rame.

Faites-vous un cauchemar récurrent lié à la scène?

Toujours le même: je commence une tournée, je m’installe derrière mon piano et là, je réalise que je n’ai rien préparé d’autre que mes chansons! A mes débuts, je chantais de cette façon qui est la mienne, et qu’on jugeait bizarre. Je craignais que, si je me contentais de chanter, les gens finissent par s’embêter. Très vite, j’ai donc eu l’idée de recourir à des voix off ou à des projections vidéo. A mesure que ce dispositif s’est intégré à mes spectacles, il a pris une place à peu près égal à ma performance. Maintenant, je me sens libéré de toutes ces craintes: je peux me déguiser, faire intervenir d’autres artistes sur scène avec moi, ce que je veux… Tout pour que ça vive!

 J’ai adoré ce personnage que je m’étais fabriqué. Un type qui, sous les ornements, ne rêvait que d’une chose: rentrer chez lui, enfiler un pyjama, boire une tisane et se mettre au lit!

Ayant grandi durant les années 1970-80, pourquoi jouer cette «chanson française» que certains assimilent à une «musique de vieux»?

Oh! J’avais cette remarque en tête tout le temps quand j’ai débuté (rire)! Mon premier album est l’expression totale de ce que vous dites: beaucoup de soins apportés aux arrangements, un quatuor à cordes très carré pour m’accompagner, un souci du moindre détail… Mais tout ce dispositif était très important pour moi à l’époque. Au début des années 2000, la production française s’était prise un mur avec toute une génération d’artistes qui souffraient tous du même complexe: plutôt que de chanter simplement leurs chansons, ils les enrobaient d’un ornement pop. J’adore la pop. Mais je n’ai jamais rêvé d’en faire. J’ai cette culture de la chanson qui, à mesure que les années passent, connaît ses cycles: une fois elle est à la mode, une fois elle est taxée de ringarde. Moi, dès le départ, je me sentais «bon pour la chanson», mais pas pour la pop que j’assimile plus à une attitude où, à la fin d’un concert, on ne remercie que peu, voir pas les gens (rire). En fait, je vais vous dire: j’ai adoré ce personnage que je m’étais fabriqué. Un type qui, sous les ornements, ne rêvait que d’une chose: rentrer chez lui, enfiler un pyjama, boire une tisane et se mettre au lit (rire)!

Quel souvenir particulier gardez-vous de l’un de vos spectacles donnés en Suisse?

Je me souviens d’un concert avec Mathieu Boogaerts au Chat Noir de Carouge en 2003, suivi d’une soirée avec un DJ qui ne jouait que de la chanson française! On dansait sur Piaf, Aznavour ou Bashung. Il n’y a qu’en Suisse qu’on puisse voir des choses pareilles!

Vincent Delerm en concert: Samedi 14 mars, 21h15, Casino Théâtre, Genève (dans le cadre du festival Voix de Fête).

www.voixdefete.com

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