JazzOnze+ 2023 | Where are we, tonight?

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Ce n’est pas la première fois que Joshua Redman vient en Suisse, ni qu’il joue à Lausanne au festival JazzOnze+. Mais c’est la première fois de son histoire discographique qu’il part en tournée avec une chanteuse, l’incroyable Gabrielle Cavassa, avec laquelle il a sorti l’album « Where are we ? » (Blue Note Records, 2023). Rencontre et concert.

Mardi 31 octobre, la cloche d’ouverture du festival JazzOnze+ est sonnée par Joshua Redman, saxophoniste de renommée mondiale, qui revient à nouveau en Suisse au Théâtre de l’Octogone. Cette fois-ci avec la chanteuse Gabrielle Cavassa et un trio de talentueux jeunes musiciens.

La soirée débute vers 20h, devant une salle casi complète. Une brève introduction par Gilles Dupuis, directeur du JazzOnze+, sûrement ravi que ce festival enfin commence, et le quintet monte sur scène. Sans dire un mot, Redman part direct sur un solo qui plante le décor pour l’aventure qui va suivre pendant plus d’une heure trente. La maitrise, le contrôle de chaque note et passage, la technique, la musicalité… tout est là pour nous dire les mots qu’il nous n’a pas dit au début : « Bonsoir, je suis Joshua Redman et je joue le saxophone professionnellement depuis plus de 30 ans. Je sais ce que je veux vous donner ce soir. Suivez-moi. »

Ce solo finit avec une douce vague de notes que le pianiste, Paul Cornish reprend avec Cavassa à la voix, et ensuite ses deux autres compagnons : Philip Norris à la basse et Nazir Ebo à la batterie. Ce qui vient d’être joué est un medley du standard « Goin’ to Chicago » et du morceau « Chicago Blues », qui fait partie du dernier album de Redman, « Where are we ? », sorti le 15 septembre 2023 avec Blue Note Records. Dans ce disque, chaque morceau fait référence à un lieu ou une ville aux Etats-Unis, de Baltimore à San Francisco, de Minneapolis à Alabama, et est à la fois une célébration et une critique de la société américaine.

Par exemple, au moment de jouer le morceau « Stars Fell on Alabama » – qui raconte d’une pluie de météorites tombée sur cette ville dans le sud –, Redman le combine avec « Alabama » de John Coltrane, une composition en hommage aux victimes d’un attaque brutal du Ku Klux Klan en 1963 contre une église baptiste où quatre jeunes filles perdirent la vie : Denise McNair, Cynthia Wesley, Addie Mae Collins, et Carole Robertson. L’attaque avait d’ailleurs eu lieu un 15 septembre, comme la date de sortie de cet album, 60 ans plus tard. L’interprétation de ce medley par le quintet est à en rester bouche bée. Toute la puissance, toute la rage, que les familles de ces quatre filles, que toute la communauté afro-américaine a dû ressentir – encore une fois – après ce jour maudit, sort des instruments : de la batterie de Ebo, devenue un nuage de tonnerre, aux doigts de Cornish qui martèlent avec force et clarté, aux cris du saxophone, presque rauque à la fin du morceau où il rende – presque littéralement – son dernier souffle.

Je suis fortement impressionnée par la virtuosité de Cornish, qui introduit la reprise de « Streets of Philadelphia » de Bruce Springsteen avec un solo à en pleurer. Pareillement, Norris à la basse est aussi un musicien à suivre. Pour débuter le morceau « New England », la band lui laisse la scène et ses doigts courent, sautillent, glissent (glissent !) sur les cordes de sa contrebasse : au moins pour moi, c’était du jamais vu. Il termine son solo avec un tempo très lent, comme un tic-tac d’horloge. Cavassa répond à l’appel et nous livre une balade sur le paradis à quatre saisons qui est le New England, région dans le nord-est des États-Unis.

Le voyage d’une nuit aux États-Unis que Redman nous a livré se conclut ici. Avec un adorable sens de l’humour, Redman revient métaphoriquement en Europe et nous laisse avec un petit hommage à la Suisse, en jouant « Swiss Retreat » de Nat King Cole.

Le public en extase ne veut pas se séparer du quintet. À force d’applaudissements et sifflements, deux encore suivent : une reprise de l’époustouflante chanson « Sakura » de Rosalía (oui, oui, l’artiste catalane surnommée « Motomami » !) où le vibrato de Cavassa joue un rôle clé, et un plus classique « You and the Night and the Music » : smooth, neat, impressive.

Le jour même, avant le concert, le micro de la radio La Fabrik est tombé dans les mains de Joshua Redman. On a parlé de son album « Where are we ? » et sa tournée avec ces jeunes talents, de ce qu’il ressent quand il est sur scène mais aussi de ses instruments. Bonne écoute !

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