Pour l’avant-dernier soir du JazzOnze+, la Salle Paderewski du Casino de Montbenon a accueilli le charismatique trompettiste, multi-instrumentiste, compositeur et concepteur d’instruments, Chief Adjuah (anciennement Christian Scott). Il était accompagné de musiciens exceptionnels sélectionnés avec soin.
Un retard de 20 minutes a précédé le concert, le temps de préparer la scène après la première partie avec l’ensemble du Genevois Louis Matute. Le thème central de la soirée : la « Réévaluation ». Chief Adjuah prône une remise en question de tout : ne plus catégoriser les gens et les choses, abolir les frontières entre les genres, les peuples et les concepts. Par exemple, qu’est-ce que c’est finalement le jazz ? Selon lui, le terme aurait des origines péjoratives, utilisées pour désigner les musiciens afro-américains au début du 20ème siècle. Et alors, pourquoi garder ce mot ? Pourquoi ne pas parler plutôt de « Stretch Music » , une musique sans limite, sans cloison ?
Vêtu d’un ensemble beige et or, Chief Adjuah a captivé le public dès son entrée. Son arc « Chief Adjuah bow », une sorte de version électrique hybride entre un ngoni et une kora, de sa propre création, ajoutait une dimension visuelle captivante à sa présence scénique.
Dès les premières notes, l’énergie des musiciens s’est imposée : authentique, sans compromis, empreinte de conscience et de fierté. Mais le volume élevé a surpris une partie du public, notamment plus âgé, au point que certains se bouchaient les oreilles. Un spectateur a même crié « Trop fort ! » en français, suivi par quelques autres en anglais : « Too loud! ». Chief Adjuah, impassible, a répondu à ces interjections avec une dignité exemplaire, tel un véritable chef.
S’ajoutaient à cela des problèmes techniques : un larsen important au micro et l’éclairagiste semblait désorienté face aux demandes de Chief Adjuah: « Je veux voir le public, qu’il profite de la musique; montez la lumière pour ce morceau !. » La tension était palpable. Chief semblait irrité par cette confusion mais a su canaliser cette énergie, tel un guerrier domptant un cheval sauvage. Et quelle démonstration de sa polyvalence : de la transe au rock psychédélique, en passant par des ballades et de la samba, il a exploré une gamme incroyable de styles, sa voix résonnant au-delà de la scène.
Chief Adjuah était ce soir-là accompagné de Morgan Guérin au saxophone, aux claviers, aux percussions (quel talent multi-instrumentaliste !), l’expert Cecil Alexander à la guitare, le Polonais Max Mucha, maître de la basse, et le phénoménale Elé Salif Howell à la batterie.
Au-delà de la musique, Chief nous a rappelé la circulation de l’énergie entre les êtres et l’importance de cultiver l’amour et le respect mutuel : « Il n’y a pas de ‘moi’, il y a ‘nous’. Chacun est le reflet de l’autre. » Nous vivons et respirons par moments : moments de connexion, de déconnexion, et d’oubli de nourrir l’amour intérieur. Nous sommes des récepteurs d’énergie. Supprimons, réduisons l’énergie négative qui nous donne l’illusion de posséder quelque chose, quelqu’un, ou un certain pouvoir. Entourons-nous simplement d’une énergie positive, souhaitant aux autres de vivre une journée aussi radieuse que possible. Diffusons de la lumière, de l’attention, de l’amour les uns envers les autres. Regardons autour de nous. Trouvons le décorum, l’élégance, et la grâce.
Malgré les obstacles, une connexion s’est progressivement établie avec le public. Cependant, lorsque le « rappel » a commencé, un tiers de la salle s’était déjà vidée, contrainte par les horaires de transport lausannois.
Chief Adjuah s’est alors concentré sur ses musiciens. Il n’était plus là pour plaire, mais pour gagner le respect de ceux qui avaient osé crier « trop fort ». La vie elle-même n’est-elle pas « trop forte » parfois ? En réalité, n’est-ce pas justement « trop bon » ? Par sa prestation, il a prouvé qu’il avait raison, mais sans agressivité, comme un père qui laisse passer une crise de colère de son enfant. Chief Adjuah est un artiste qui connaît sa valeur, son talent et son travail, et il est un homme qui se rappelle la douleur et les efforts qu’il a fallu pour arriver où il en est. La vie resterait difficile. Mais il est là pour se battre pour une juste cause : la justice et l’amour.
Vous trouvez ça trop fort ?
Moi, je trouve ça trop bon.
P.S. La Fabrik avait déjà rencontré Chief Adjuah (Christian Scott) lors de son passage au Cully Jazz 2017. Si vous voulez récouter l’interview, c’est par ici : https://lafabrik.ch/2017/04/25/cully-jazz-2017-souffle-de-philanthropie-christian-scott/ !