A la découverte d’un artiste fracassant: Casisdead

Par Julie Duchatel

En Angleterre, depuis quelques décennies, la scène hip-hop fait preuve d’un certain dynamisme de par son large éventail musical. On peut parier sur un avenir prometteur pour cette scène artistique.

Un artiste inclassable a attiré notre attention. MC masqué et mystérieux, Casisdead fait l’unanimité auprès de ses pairs. Ses textes sont des descriptions saisissantes et frappantes d’un milieu urbain hostile où la vie ne tient qu’à un fil. À tel point que certains, comme The Purist, trouvent en lui le Nas britannique. Pour Dizzee Rascal, c’est le meilleur parolier du moment. Pour JME, il est incontournable. Giggs en entendant What’s my name dans un taxi a immédiatement voulu collaborer avec lui. Cas est ainsi en featuring sur deux morceaux de son album Landlord. Dépassant les frontières du genre musical, Tricky l’a trouvé tellement intéressant et atypique qu’il a décidé de travailler avec lui (avec une première reprise de Does it sur son LP 7 titres Obia).

Mais pour quelles raisons Casisdead suscite-t-il autant d’intérêt ?

L’énigme Casisdead

On sait peu de chose sur Casisdead. Il serait né en 1986 à Tottenham, un des quartiers les plus pauvres de Londres, largement investi par les gangs. On sait aussi que Cas a une vie difficile, mais on n’en sait guère plus.

Apparu sur la scène londonienne au milieu des années 2000 sous le nom de Castro, Castro Saint, ou C from T du groupe Proppa P, il s’est fait remarquer par son flow particulier et ses jeux de mots particuliers. Puis, Cas a disparu pendant presque six ans.

Quand un certain CASisDEAD apparaît en 2012 sur internet, plus de doute, Castro est de retour. On reconnaît sa voix et ses paroles. Le thème principal de ses textes reste le deal et la vulgarité de la société dans laquelle il vit. Il revient en force avec un premier morceau : T.R.O.N. À cette époque, Ash Houghton, journaliste pour SBTV.co.uk, est hypnotisé par T.R.O.N. Il affirme que ce morceau lui a redonné espoir en la musique. Tous les premiers titres de Cas sont compilés sur l’album The Number 23. Ces clips hip hop sont novateurs en termes de mise en scène. D’autant que depuis sa résurrection, Cas apparaît toujours masqué. Il joue ainsi de son anonymat, comme il l’écrit dans What’s my name. Et cela intrigue.

Une « dure et froide réalité »

Cas s’affiche ouvertement en dealer. Mais si le thème peut paraître classique chez bon nombre de rappeurs, son approche est différente. Il ne parle au nom de personne mais fabrique son propre récit. Une bonne partie de ses morceaux portent sur sa vie de dealer : les endroits où planquer sa drogue, les menaces des rivaux, la surveillance constante de la police, la menace de la prison ou de la mort. Il parle aussi de la violence exercée sur les junkies qui ne payent pas, de l’utilisation du corps des femmes comme mules… Il écrit une vie aux aguets. Le tout, sur un rythme effréné et des images morbides. Cas nous crache ses morceaux en pleine figure.

Yeah I’m total scum. I sell drugs to pregnant mums
(Oui je suis un vrai connard, je vends de la drogue à des mères enceintes)

Il assume cette vie tout en se demandant que faire dans une société où « si tu meurs flingué, tu es canonisé ». Certains morceaux comme Silian Braille (titre inspiré de la police Silian Rail dans le roman American Psycho…) ou 3.6 sont d’une grande tristesse. Sur P.A.S.O.U, on sent l’artiste vulnérable et déchiré entre sa vie actuelle et un destin bien plus grand auquel il aurait droit.

Cas se drogue. Il en fait largement écho que dans ses morceaux ou sur les réseaux sociaux. Mais ce n’est jamais une apologie. Son morceau le plus connu, Drugs don’t work, en dit long sur la dépendance et le désespoir des paradis artificiels.

À travers ses textes, Cas analyse également le système, un système qui génère des inégalités sociales de plus en plus grandes. Selon DJ Semtex, Cas est un des rares rappeurs à écrire un morceau après les émeutes de Londres qui ont précédé les Jeux Olympiques de 2012. L’artiste témoigne du ras-le-bol des quartiers populaires de Londres devant l’injection d’autant de millions pour du divertissement, alors que le gouvernement de Cameron coupe dans les budgets sociaux.

Un style propre et une cohérence artistique

Ses rimes et la maîtrise de la langue témoignent d’une intelligence organique. Combien de rappeurs emploient le mot infinitésimal, défécation, procrastination?

Plus largement, sa culture artistique contribue à son originalité. Dans une interview pour I-d, il dit qu’il ne veut pas être rattaché au grime, au hip-hop ou à aucun autre genre musical. S’il aime un beat, il l’utilise, que cela soit du classique, du jungle, du rap ou de la pop. Ou encore du jazz comme dans City Slicker.

Une des dernières singularités de Cas est qu’il ne se considère pas comme un rappeur. Il se voit davantage comme un réalisateur et un artiste. D’abord vient l’idée de clip. Puis il le tourne et ajoute ensuite la musique et les paroles. Cette manière de composer atypique est rendue possible par son équipe artistique, composée d’amis de longue date. Et le résultat est là : l’esthétique de ses réalisations est indéniable.

Cas peut choquer par la crudité de ses textes et ses clips. Mais n’est-ce pas parce qu’il nous tend un miroir peu glorieux de notre société occidentale ? Avec sa violence, son désespoir, ses rapports crus, ses histoires sordides, ses vices ? Peut-être Cas choque-t-il surtout celles et ceux qui préfèrent ignorer que la société produit cette vulgarité crasse ? Cas parle avec ses tripes. Et il semble que c’est bien ça qui soit rare, et précieux, de nos jours.

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