Samedi 18 février, le Victoria Hall s’est vêtu de couleurs d’espoir et colère, de guerre et paix. Le Kronos Quartet était là et a livré une performance atypique.
Le Festival Antigel les invite depuis le tout débout et enfin, les efforts ont étés récompensés : le Kronos Quartet est venu à Genève, directement de San Francisco où ils sont basés, pour donner un concert au Victoria Hall. Le quartet, dont l’histoire date d’une quarantaine d’années, est composé de deux violons, joués par David Harrington et John Sherba, un alto, joué par Hank Dutt qui s’occupe aussi des certaines percussions, et un violoncelle, joué par la superbe Sunny Yang.
Le groupe est justement acclamé pour leur excellente maîtrise de l’instrument : la première partie du concert, assez difficile à digérer pour qui n’aime pas la musique classique contemporaine, fascine par sa propreté dans l’interprétation. Le programme de leur prestation montre une volonté de parcourir tout leur répertoire qui couvre des centaines de styles et d’origines. Entre un morceau festif du syrien Omar Souleyman ou un interlude au parfum de l’Inde du nord de Kala Ramnath ou encore un air doux du malien Fodé Lassana Diabaté – qui était dans la salle aussi – , celles et ceux qui se sont préparé(e)s à cette performance ont été surement gâté(e)s. Les autres ont peut-être accueilli l’intervalle avec un certain soulagement : ce concert n’est pas pour des débutants!
La deuxième partie du concert se détache totalement de la précédente, grâce à un cocktail d’airs plus connues au grand public comme le très sombre « Lux Æterna » tiré de la bande sonore du film « Requiem for a Dream » ou « Strange Fruit » de Billie Holiday, arrangement que David Harrington annonce être « pile au cœur des problèmes que les Etats-Unis connaissent en ce moment ». Le quartet se considère très concerné par les enjeux mondiaux et notamment leur esprit pacifiste se manifeste dans les deux morceaux qui suivent. Dans « Live from USA » de Aleksandra Vrebalov, les notes et le rythme s’adaptent aux cris « Let them in ! », enregistrés par l’artiste à l’aéroport JFK de New York le 27 janvier de cette année. Dans « Bombs of Beirut », un époustouflant chef d’œuvre de l’arménienne Mary Kouyoumdjian, la musique devient plutôt un tapis musical des témoignages de la guerre du Liban et laisse place à trois choquantes minutes, dans l’obscurité totale, d’enregistrement d’explosions de bombes qui tombent au sol, de cris des blessé(e)s et du son très sec des fusils d’assaut. On a l’impression d’être vraiment là, dans les ruelles de Beirut, en train de prier pour que la prochaine bombe ne tombe pas sur notre maison et nos bien-aimé(e)s. Écouter ces enregistrements dans une salle comme le Victoria Hall est une expérience absolument unique que je conseille vivement à tous celles et ceux qui ont eu la chance de naître dans un pays sans guerre. Pour ces trois minutes vous allez vivre et comprendre ce qui se passe en ce moment en Syrie, vous allez passer par tous les états d’âme, votre sang va geler et vous allez arrêter votre respiration, vous allez penser à ceux que vous aimez et aux injustices dans le monde : c’est un chant de révolte pour votre conscience et tout ça, grâce à trois minutes d’un concert du Kronos Quartet pendant lesquelles le quartet ne joue même pas. Bien que la guerre soit inhérente à l’existence de l’être humain, il y a toujours l’espoir que, bientôt, nous allons tous comprendre qu’elle est inutile et insensée. C’est ainsi que, juste après « Bombs of Beirut », le quatour joue un des plus doux morceaux jamais composés : « The beatitudes » par Vladimir Martynov. Le concert est clôturé par deux encore : « Silk and bamboo » de la chinoise Wu Man et le traditionnel morceau pour violon américain « Orange Blossom ».
Pour en savoir d’avantage sur les plus récents projets du Kronos Quartet, vous êtes invité(e)s – musiciens et non – à explorer « Fifty for the Future », une initiative éducationnelle qui commissionne, à 25 femmes et 25 hommes, des morceaux ensuite mis gratuitement à la disposition sur leur site pour qui veut les jouer.
