«Nous vous prions de bien vouloir éteindre complètement vos téléphones. Les éteindre, s’il-vous-plaît». Téléphone en mode avion, on part en voyage sur La Route du Levant.
Un voyage simple, a priori : un commissariat en panneaux lumineux, une table, deux chaises en métal, deux hommes, un flic, un jeune. L’ordinateur de l’inspecteur brille dans le noir de ce début de pièce. Cette mise en scène, on y croit à moitié. Le flic (Olivier Lafrance) avec son look de professeur, chemise rentrée dans un jean sage, le jeune (Ludovic Payet), presque caricatural, la djellaba et les baskets dernier cri.
C’est toute la force de cette pièce : on pénètre cet univers par petites touches judicieusement pensées. Un craquage de doigts plus vrai que nature, des idiomatiques dans un arabe parfait, un accent de banlieue, une approche paternaliste qui se veut compréhensive… Mais ce qui compte c’est l’opposition, la flamboyance des idées, les exposés d’idéalisme.
D’un côté, le jeune Al-Mansour, né Roger Duglin à Nogent-Le-Rotrou. Il prône la conversion, le voyage en terre de Cham, le non-retour et le djihad. Ses arguments sont séduisants: devenir musulman pour se désintoxiquer du monde matériel, s’améliorer, fonder une famille, combattre les infidèles, acheter des baskets ultra modernes pour fouler fièrement la terre de Cham, et rendre œil pour œil à cet Occident capitaliste qui maintient « 95% des musulmans dans la misère ». L’actualité et notre éducation occidentale nous soufflent que c’est une idéologie, que ces mots sont pervers, que ce n’est pas la vérité. Mais Ludovic Payet est plus que convaincant en rhétoricien de l’Islam. Malgré Charlie, malgré Paris, malgré la menace du terrorisme, on aurait presque envie d’y croire…
C’est qu’Olivier Lafrance est son pendant parfait. Policier qui prétend croire en une France juste, une société rédemptrice, les Lumières. Mais on sent dans le jeu que le personnage n’est pas convaincu, il y a autre chose, une autre idéologie plus profonde, moins jolie… « Les bons sentiments ne suffisent pas à ramener les brebis galeuses dans le droit chemin »…
La Route du Levant c’est un combat à mort, idéalisme contre idéalisme. Deux forces, « gauche-droite, est-ouest », deux présences sur scène. Chapeau bas à ces comédiens qui ont travaillé ensemble au pied-levé, seulement trois semaines avant le début des représentations (changement de casting de dernière minute).
Chapeau bas au texte et à la mise en scène de Dominique Ziegler. Une mise en mots drôle (on rit beaucoup pendant cette pièce pourtant sérieuse), cynique, juste qui dévoile phrase après phrase un dessein que l’on n’attendait pas, une chute un peu capillotractée. Peut-être trop fantastique pour être totalement crédible ? Mais pourtant une chute logique : après avoir poussé si loin les extrémismes, comment conclure ? Comment reprendre le contrôle de l’histoire, à laquelle on pourrait d’ailleurs presque mettre un H majuscule ? Alors pourquoi pas le finish d’opéra : les personnages morts, la problématique à échelle humaine est résolue…
La Route du Levant, de Dominique Ziegler, Théâtre du Grütli jusqu’au 4 février.