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Lundi 2 février, la Salle des Fêtes de Troinex accueillait Toumani et Sidiki Diabaté dans le cadre du festival Antigel, un duo père et fils malien qui sublime le répertoire mandingue. Compte-rendu et interview par Tamara Fischer, qui est allé pour vous les découvrir.
Première question, vous venez de sortir de scène, comment ça s’est passé ?
Toumani : Les gens sont sortis ce soir, je suis content. Je n’aime pas jouer devant une salle vide. Il y a deux ans, quand j’ai joué à la Cathédrale, il y avait plus de mille personnes, on a joué à guichet fermé. Alors quand je suis arrivé ici [salle des fêtes de Troinex, ndlr] j’ai eu un peu peur. J’ai juste vu quelques chaises et je me suis dit : « c’est un village ? ». Et finalement les gens sont venus, je suis content.
Etes-vous contents de votre prestation ?
Toumani : Oui, absolument. Vous avez vu qu’à la fin du concert, il y a eu une standing ovation : ça veut dire que c’est positif, ça ne peut que faire plaisir à l’artiste. Ca veut dire que la musique et le message, ont été compris par le public. A la fin du concert, quelqu’un m’a approché pour me dire qu’il avait bien aimé le message. Moi, je suis entre l’Afrique et l’Europe, et cette personne m’a demandé si je pouvais parler aux dirigeants africains, faire passer mon message politique. Mais je ne suis qu’une seule personne, face à ce système. En Afrique, les chaînes de télévision ne passent que des clips, des belles images… Les Africains se disent que chez eux ça ne va pas et veulent partir. Ils pensent qu’en Europe l’argent se ramasse par terre.
Avec votre fils, vous avez composé le morceau « Lampedusa », qui est une lamentation parlant de tous les Africains qui sont morts en essayant d’arriver en Europe. Parlez-moi un peu de ce morceau…
Toumani : L’idée de faire cette chanson, c’est pour réveiller un peu les consciences, pour qu’on se dise la vérité. Il faut qu’il y aie un monde de franchise. Enlever ces histoires de supériorité, enlever les aspects économiques, et rendre la vie facile aux gens. Il y a une contradiction : en même temps les dirigeants européens donnent de l’argent pour le développement des pays africains, en même temps ils envoient des avions et jettent des tonnes d’armements dans le désert, pour pouvoir y mettre des bases militaires.
On sent de la mélancolie dans votre musique, d’où vient votre inspiration ?
Toumani : Vous savez, ce que nous faisons, c’est de l’inspiration divine. C’est une inspiration divine qui m’arrive, je n’ai pas de mots pour l’expliquer, ça m’arrive comme ça et ça sort par les doigts sur la kora.
La kora est un instrument traditionnel considéré comme élitiste. Vous êtes les premiers, avec votre fils, à avoir décloisonné la musique traditionnelle mandingue, et l’avoir exporté à l’international. Quel est le résultat ?
Toumani : Le résultat est positif. La musique que vous avez entendu ce soir, ce n’est pas la musique cajun, du blues, ou du jazz, c’est de la musique mandingue. La kora ne parle pas espagnol, portugais ou japonais, elle parle mandingue. J’ai eu la chance d’enregistrer avec Björk, mais ce n’est pas sa musique que j’ai joué. Pour ce genre de rencontre, chacun joue sa musique pour créer une nouvelle musique. Je n’ai pas débarqué à New-York avec Taj Mahal en lui disant que je voulais faire du blues… Vous savez, la musique est universelle, elle a son langage, qui est pareil dans tous les pays du monde : on n’a même pas besoin de parler la même langue pour se comprendre.
Et toi, Sidiki, tu as modernisé cette musique traditionnelle ?
Sidiki : Je ne sais pas si je l’ai vraiment modernisée… Ma chance a été de faire l’institut national des arts à Bamako, maintenant j’ai terminé cette école et je suis au conservatoire. J’ai pu apprendre à jouer du piano, la guitare… Je suis un musicien curieux, je m’amuse avec les instruments. J’ai d’abord essayé de faire ce que je joue à la kora, au piano. Cela m’a donné l’idée de reprendre les morceaux traditionnels, de les refaire d’une façon nouvelle, mais tout en respectant les normes de la musique traditionnelle.