Jeudi 6 avril, il ne fallait pas aller trop loin pour se sentir en Afrique : il suffisait d’être sous le Chapiteau avec Seun Kuti & Egypt 80.
Je ne suis jamais allée en Afrique, mais le Cully Jazz a organisé le voyage pour moi et je suis partie sans valise, sans passeport et… sans devoir quitter la Suisse ! Jeudi 6 avril, l’Ethiopie de Mulatu Astatke et le Nigeria de Seun Kuti s’invitaient au Chapiteau. Un concert débout et c’est compréhensible : l’ethio-jazz du percussionniste Astatke en première partie et les irréfrénables danses du saxophoniste Kuti en deuxième sont irrésistibles.
Premier africain à avoir été admis au prestigieux Collège de musique de Berklee (dans les années 60), Mulatu Astatke a collaboré avec des étoiles du jazz comme Duke Ellington et Mahmoud Ahmed. Il s’est longtemps intéressé au latin jazz avant d’identifier son propre style, l’ethio-jazz, qu’il construit grâce à son vibraphone et ses congas. Sa musique résonne mystérieuse, comme une jungle dont on ne voit que les racines et où il faut entrer, cœur ouvert, tête en transe, pour la découvrir. Néanmoins, cette performance de Astatke ne me satisfait pas. L’air peu emballé, il semble être sur scène de force : la faute à l’habitude de la célébrité ou à l’âge ? L’encore se fait attendre par un public enthousiaste qui crie jusqu’au bout de sa voix pendant cinq minutes, pendant que l’attentionné Jean-Yves Cavin, co-président du festival, essaie de convaincre les musiciens de retourner sur scène. J’apprécie quand même la place que Astatke laisse à ses musiciens, tous très jeunes, surement en train de profiter de leur « mécénat » pour se faire une renommée.
J’avoue, je ne voulais rester que pour Astatke. Mais la préparation de scène pour le concert de Seun Kuti & Egypt 80 m’intrigue. Il y a de tout : guitare, basse, trompette, conga géante, saxophones, shekere… pour un total de 15 microphones. Que va-t-il se passer ? Après l’introduction par Cavin, les musiciens arrivent petit à petit et la musique débute, quoique avec une tangible incertitude. De plus, ils sont seulement 14 et il y a un trompettiste qui chante… Au fait, où est-il, Seun Kuti ? La réponse arrive bientôt. Comme un éclair dans un ciel sans nuages, Kuti entre après le premier morceau, accueilli par les cris des cuivres et les déhanchements des deux choristes danseuses. Et c’est là que je saute au plus profond de l’Afrique, pour trois heures sans interruption. Seun Kuti joue, saute, court, dirige son orchestre et se sert de ce concert pour lancer des messages de lutte en forme de récits. Il chante contre l’American Dream qui continue à envoûter la jeunesse africaine avec des rêves qui n’ont aucune place dans l’univers africain ; il critique la corruption des gouvernements et des banques ; il se moque de l’industrie du disque et de la logique de l’ « Argent tout-puissant » qui règne partout dans le monde, toujours et encore. Seun Kuti est une personnalité à ne pas louper car, en représentant les espoirs d’une jeunesse globalisée, il montre avoir compris que l’être musicien et l’être messager de paix ne sont plus deux concepts séparés, mais vont de pair. En fin de compte, la musique n’est-elle pas le langage universel du respect, de la compréhension et de la liberté?