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LJF 2015 | Un duo minimaliste à Soho
Que font une batterie et un saxophone ténor dans une librairie à six étages à Londres ? Il faudrait le demander à Binker Golding et Moses Boyd (Dem Ones (2015) – Gearbox Records) qui ont hypnotisé pour une heure un petit public dans la salle Ray’s Jazz, située au sixième étage de la librairie Foyles à Soho.
« Dem Ones » est bien plus que le premier album de ce duo minimaliste : c’est une expérience à laquelle il faut arriver bien préparé. Distribué en vinyle par le label Gearbox Records, l’album est aussi accessible en partie sur Spotify – les malheureux qui n’ont pas de tourne-disques peuvent pousser un soupir de soulagement. Mais pour comprendre cette musique à 100% il faut voir Golding et Boyd en concert. Il faut voir leur sueur, la fatigue et l’amusement, l’envie d’improviser tout en restant dans les lignes du pentagramme. Golding et Boyd rentrent dans la catégorie de ces jazzmen qui détruisent votre équilibre et vous laissent épuisé à la fin de leur performance mais aussi purifié et satisfait.
Le début est gentil. Golding se met face à Boyd. Les mains de Boyd touchent, caressent, traversent, explorent sa batterie, comme pou réveiller Golding. Le sax tousse un peu et s’étire avec des bâillements timides. Petit à petit, le couple se rappelle de la discussion de la veille et la gentillesse diminue. Une conversation complexe recommence, les arguments de plus en plus difficiles et la tension est dans l’air. Pendant que Boyd garde une paix intérieure dont je suis extrêmement jalouse, Golding souffle, crie pour un peu d’air, transpire, souffre. Mais il est en train d’aimer. Et là, il y a tout de ce qu’il fait partie d’un acte d’amour : les regards, les efforts minuscules dans l’immobilité de l’étreinte, la concentration sur les sensations sans pourtant être capable de penser. Un morceau en particulier pousse mon imagination : Black Ave Maria, qui dans sa violence me rappelle le Moanin’ par Charles Mingus. Ici, Golding joue au professeur exigeant. En géographie, il fait rêver les plages des Caraïbes mais, en histoire, il tâche les palmiers avec le sang innocent des esclaves de l’Afrique noire. Ses étudiants ? Lui-même. Son meilleur camarade ? Boyd, toujours à côté, un peu étudiant discipliné, un peu frère rebelle.
Ils sont beaux, ces jeunes, compétents et pleins d’énergie. Ils arrivent à la fin avec élégance et délicatesse. Êtes-vous curieux de les rencontrer ? La Fabrik l’a fait pour vous.
– Irene Carbone